dimanche 26 février 2017

Guy Birenbaum du Huffington Post

"Tous les périls menacent l'homme de plume qui s'avise de parler de toros". 

Tels sont les premiers mots de l'immense livre de Jean Cau, Les oreilles et la queue (Paris, Gallimard, 1961).


C'est que je dois vous faire un aveu terrible.
Quelque chose que je ne devrais jamais écrire sur ce net qui n'oublie rien et ne pardonne presque personne.
J'aime la corrida.
Voilà c'est dit.
Ça m'a pris, il y a bien longtemps, lorsque des raisons professionnelles m'ont conduit à enseigner à la fac de droit de Montpellier. Proche de Nîmes et d'Arles, j'ai alors découvert cet univers incroyable qui ne m'a plus quitté. Quelques incursions dans des arènes espagnoles ont accentué ma passion.
Je sais bien que ce que j'écris là n'est pas "webiquement" correct, surtout le jour où le Conseil constitutionnel examine si la tauromachie est compatible ou non avec la loi.
C'est le comité radicalement anticorrida (Crac) pour la protection de l’enfance et l’association Droits des animaux qui demande aux "sages" du Palais Royal de constater l’anticonstitutionnalité de certaines des dispositions de l’article 521-1 du Code pénal, qui réprime les actes de cruauté commis contre les animaux. Invoquant la rupture du principe d'égalité, le comité réclamer la suppression d’un alinéa de l’article 521-1 qui prévoit des dérogations à cette règle et autorise la survivance de la corrida (dans des localités où une tradition ininterrompue peut être établie).
Je sais aussi, et là j'aggrave mon cas, que ce matin, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a défendu la tradition taurine au micro de BFM-TV et RMC: "C'est quelque chose que j'aime, ça fait partie de la culture de ma famille". Il a surtout ajouté "C'est une culture qu'il faut aussi préserver" (...) "Dans un pays en crise, avec des Français qui doutent de leur identité, tout ne peut pas se ressembler" (…) "On a besoin de ces racines, ne les arrachons pas."
L'argument culturel est important. L'argument social ne doit pas non plus être négligé, il suffit de pénétrer dans une arène pour mesurer le brassage et le mélange. l'argument économique n'est pas davantage mineur.
Mais je pars déjà dans une bien mauvaise direction.
Il n'est pas question pour moi de défendre la corrida.
C'est au dessus de mes forces. Et ce n'est pas défendable.
Ni de discuter des arguments rationnels de ses opposants. De contester leur émotion, de la juger non légitime. De critiquer leurs violences, car parfois, il leur arrive d'être violents pour arriver à leurs fins.
C'est inutile et ce serait peine perdue.
J'ai d'ailleurs appris depuis longtemps à m'écarter des discussions (surtout en famille) qui s'engagent sur le sujet, tant rapidement le point de non retour est vite atteint entre "anti" et "pro". Les dialogues deviennent vite pire que dans la pire des chansons de Francis Cabrel...
Je veux juste évoquer ici deux ou trois sentiments qui seront suffisants pour que je sois vilipendé.
Mais ce n'est pas important.
D'abord, sur la forme, invoquer la compétence du Conseil constitutionnel sur le sujet me semble plus que contestable. Surtout, je ne vous cache pas que j'en ai par dessus la tête que de prétendus "sages", nommés dans des conditions plus que discutables, disent ce qui est permis et ce qui est interdit. Et croyez-moi, les questions qui se posent sur les compétences des membres du Conseil constitutionnel dépassent et de loin la question de la corrida!
Mais venons-en au fond.
Je crois qu'un amoureux de la corrida ne peut pas expliquer, ni justifier sa passion. Je pense même (pardon) qu'il n'a pas à le faire.
C'est que je ne suis pas capable de dire pourquoi, une ou deux fois - pas plus -, mal assis sur un gradin, dans une arène, au soleil ou à l'ombre, j'ai vraiment eu l'impression que le temps s'arrêtait.
Je ne sais pas raconter la chaleur qui monte du sol, le soleil qui se reflète sur les costumes et sur l'habit de lumière, le silence, la musique, le sable qui vole, la tension, la danse, le drame, l'émotion, le cœur.
Je n'ai pas le talent, ni les mots pour décrire et vous faire partager la peur, l'odeur de la peur, le bruit de la peur. Car la peur a un bruit, sourd...
Je peux juste vous dire, avec impudeur, qu'une ou deux fois dans ma vie, car je dois admettre avec sincérité que ce fut très rare, j'ai tutoyé, à ma place, quelque chose qui devait ressembler à la "grâce". Oui, la "grâce". Ce que d'autres entrevoient sûrement - les chanceux - devant une toile ou dans une salle de concert. Ou ailleurs. Où ils peuvent.
Et qu'en vérité, chaque fois que je retourne dans une arène (c'est de plus en plus rare, rassurez-vous), j'espère secrètement retrouver, ne serait-ce que quelques secondes, de ces infimes moments où tout s'est conjugué en même temps : les geste, le ciel, l'harmonie, les couleurs...
Vous ne comprenez pas du tout ce que je veux dire ?
Je vous choque ?
Ce n'est pas grave.
Moi, des choses qui me choquent, j'en supporte tous les jours et je ne demande à personne de les arrêter.
Du coup, je vivrais assez mal que, cet après-midi, une douzaine de personnes décident, à ma place, de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Discutons en...
Mais, cette fois, cette fois seulement, je ne vous promets pas de forcément vous répondre...

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